"Mes enfants et moi n'avons nulle part où dormir. Notre maison a été emportée par un vent violent provenant du barrage".
Telle est la complainte d'une femme de Batchenga, au Cameroun. Elle n'est que l'un des nombreux membres de la communauté touchés par la construction du barrage hydroélectrique Nachtigal de 420 MW sur le fleuve Sanaga, financé par la Banque africaine de développement (BAD) et d'autres institutions financières internationales (IFI). Comme les habitants de Batchenga, de nombreuses autres communautés en Afrique souffrent depuis plusieurs décennies des effets désastreux des projets financés par la BAD. Les conséquences des projets de "développement" financés par la Banque africaine de développement sont flagrantes, tandis que la souffrance des personnes touchées se poursuit. Les femmes et leurs communautés s'organisent pour dire NON au lourd tribut des projets imposés par la BAD qui perpétuent un modèle de développement capitaliste et néocolonial pour l'Afrique.
Le dispositions légales sur lesquelles la Banque africaine de développement a été fondée démontrent que la BAD adhère à la Charte universelle des droits de l'homme et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Cela implique que tous ses processus et mécanismes doivent respecter les dispositions de ces déclarations, non seulement dans leur formulation, mais surtout dans leur mise en œuvre sur le terrain. Le fait que la BAD ne le fasse pas et ne respecte pas ses engagements devrait être considéré comme une violation de ses obligations. Cette violation devrait également signifier que les femmes et les communautés qui subissent les effets néfastes des projets financés par la BAD ont droit à des réparations et à une compensation équitable.
Construire une campagne ciblant la BAD
WoMin African Alliance et ses partenaires, la Coalition pour l'abolition de la dette illégitime (CADTM) Afrique, Lumiere Synergie pour le développement (LSD) et le Centre du commerce international pour le développement (CECIDE), ont organisé une réunion avec 60 femmes et activistes communautaires afin d'élaborer une campagne de réparation à l'intention de la BAD.
Tenue en Guinée Conakry, la réunion a rassemblé des femmes des communautés locales de Damouya, Kansa, Woleah, Bangouyah, Balayah et Tahire, qui sont toutes fortement touchées par le projet énergétique OMVG financé par la BAD. En outre, la convergence a rassemblé des participants de 11 autres pays d'Afrique occidentale et centrale, à savoir le Mali, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Gabon, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Ghana.
Tous les participants ont fait part de leur expérience des déplacements forcés et de la perte de terres agricoles, rendant impossible la poursuite des activités de subsistance. Les communautés luttent également pour obtenir des compensations justes et adéquates. La réunion a été une occasion vitale pour les femmes d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale de se solidariser avec leurs sœurs guinéennes.
Témoignages d'impacts
La première journée a été consacrée à donner une voix aux communautés touchées par les projets financés par la BAD. Ceux qui sont en première ligne et qui subissent de plein fouet les effets négatifs des mégaprojets de développement ont partagé des expériences similaires. Les femmes ont témoigné des réalités quotidiennes auxquelles elles et leurs communautés sont confrontées et de la manière dont elles ont été dépossédées de leurs moyens de subsistance. Dans la plupart des cas, elles ont perdu leurs terres, qu'elles utilisaient pour l'agriculture. Carine Tsimba Mouity, du Gabon, a déclaré : "Le projet de palmiers à huile GRAINE, financé par la BAD au Gabon, prive les communautés Ferra et Ndende de leur droit légitime de se déplacer librement et d'utiliser leurs terres pour la production alimentaire".
Les femmes et leurs communautés n'ont également plus d'espace pour pratiquer les activités économiques qui leur garantissaient un revenu minimum pour prendre soin d'elles-mêmes et de leurs familles. La pisciculture, le maraîchage, l'exploitation de carrières de sable, la restauration et bien d'autres activités n'existent plus pour elles. Ainsi, dépossédées de leurs terres et sans aucune source de revenus ni possibilité d'exercer une activité économique, les femmes sont inquiètes pour l'avenir de leurs familles et de leurs communautés.
Bien que des compensations aient été accordées à certaines communautés - comme dans le cas de Taboth et Akrou en Côte d'Ivoire ou de Batchenga au Cameroun - il convient de noter que les processus de consultation et de recensement qui ont précédé le versement de ces compensations ont été biaisés à bien des égards, notamment en raison de consultations inadéquates avec les communautés et de l'absence de prise en compte de leurs préoccupations. Les méthodes de calcul de la base d'indemnisation ont souvent manqué de clarté. Certains membres de la communauté n'ont pas été considérés comme faisant partie des personnes touchées par les projets et n'ont donc pas reçu de compensation adéquate. En raison des déplacements forcés, nombre de ces communautés ont également perdu le lien avec leurs traditions socioculturelles et leur mode de vie.
Dans le village de Ndokoa, au Cameroun, une praticienne traditionnelle qui vivait sur les rives du fleuve Sanaga a fait part de son mécontentement quant à sa réinstallation. Elle n'a jamais été consultée pour le choix du site ni pour le plan de construction de sa nouvelle maison. Sa maison, qui lui a été attribuée par la Nachtigal Hydropower Company, laisse passer l'eau de pluie par le toit. La source d'eau la plus proche est souvent asséchée et elle n'a plus accès aux plantes médicinales et aux herbes qu'elle utilisait pour soigner les malades de sa communauté. Elle est obligée d'embaucher des jeunes pour cueillir ces plantes sur la rive opposée du fleuve Sanaga. En conséquence, cette gardienne du savoir médicinal traditionnel souffre, tout comme ses patients.
Une voie à suivre pour exiger des réparations
Des femmes de Dorma Kantinka, au Ghana, ont fait part de leur puissante campagne visant à dénoncer les abus et les injustices dont elles et leurs communautés ont été victimes. Elles se battent également pour défendre leurs droits et exiger des réparations pour les dommages et les préjudices subis dans le cadre de projets dits de "développement".
Pour la soixantaine de participants, cette réunion a renforcé leur connaissance commune de la Banque, de ses processus, de ses mécanismes, de ses membres et des dynamiques de pouvoir internes et externes en jeu. Elle a été l'occasion de produire une analyse critique de la BAD, de s'interroger sur son rôle dans les politiques et les processus de développement de l'Afrique, et sur ses relations avec d'autres IFI comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Le groupe était particulièrement préoccupé par le rôle de la BAD dans le fardeau de la dette des pays africains. L'analyse des coûts a également suscité un grand intérêt en tant qu'outil essentiel pour rendre visibles les coûts socio-économiques et environnementaux des projets financés par la BAD.
Le CADTM Afrique a lancé un appel pour l'annulation de la dette des pays africains : "Les dettes publiques qui ne servent pas au développement des pays africains doivent être annulées", a déclaré le coordinateur Broulaye Bagayoko.
Un plan d'action annuel pour 2023-2024 a été défini et guidera les actions du groupe dans les semaines et mois à venir. Pour les participants présents à la réunion stratégique de Conakry, il est essentiel de s'organiser et de résister. "C'est une question de survie. Nous devons résister parce que nous n'avons pas d'autre choix. Résister ou mourir parce que de toute façon nous n'avons plus rien", a déclaré Hannah Owusu-Koranteng de WACAM Ghana.